REFLETS DU CINEMA CHINOIS
13e édition – 2022
Taïwan
臺灣
En même temps que l’ascension des économies des « Petits Dragons » dans les années 90, la vitalité et l’originalité de la cinématographie de Taïwan enthousiasment nos festivals et nos écrans, en particulier sa Nouvelle Vague, avec Hou Hsiao-hsien, Ang Lee, Edward Yang, Tsai Ming-liang, etc. Malgré une tentation hollywoodienne, elle continue de produire un cinéma d’auteur qui mêle subjectivité et contexte historique.
ERRATUM : vendredi 1er avril, au Cinématographe : Typhoon sera projeté à 20h45 au lieu de 20h30

Notre programmation 2022 a pour titre Taïwan. Elle reprend celle de 2021 que les circonstances sanitaires avaient empêchée. Rappelons que ce choix de présenter quelques titres de la cinématographie taïwanaise avait précédé l’internationalisation récente de « la question de Taïwan ». Cela conforte notre position d’apolitisme de présenter, selon des thématiques particulières, des films de culture chinoise qu’ils aient été produits en Chine populaire, à Hongkong, à Singapour ou à Taïwan, et que leur langue soit le mandarin, le cantonais ou d’autres langues autochtones. Or la richesse, la diversité et la renommée de la production cinématographique de cette île – en particulier celles de la « génération d’or » avec Hou Hsiao-hsien, Edward Yang, etc. – nous a incités à confirmer notre choix.
Le texte qui suit se conforme à l’état actuel de la recherche sinologique, telle qu’elle est pratiquée en Occident.


En premier lieu, Taïwan est une île au relief montagneux, comme les autres îles de l’immense archipel qui court de Hokkaïdo jusqu’à Kaohsiung en passant par les îles Ryuku. Malgré cette étroitesse des terres arables, elle contient une forte densité démographique (25 millions pour un territoire qui devint une partie de l’Empire chinois à partir de sa conquête par la Chine en 1662). La population, très majoritairement urbaine, dispose d’un niveau de vie relativement élevé comparativement à celui de la Chine populaire, ainsi que d’un système d’éducation reconnu. Sa littérature, sa peinture, ses musiques, les beaux-arts et les formes nouvelles de la culture-pop irriguent les espaces culturels de toutes les côtes de la mer Jaune (Chine, Japon, Corée). Celles-ci sont traversées aujourd’hui par des mouvements identitaires de plusieurs types ainsi que nous le montrera la conférence de Mme Mengin, le samedi 2 avril à la Salle du Grand Blottereau. Ces mouvements s’inspirent généralement d’événements historiques spécifiques.
D’abord elle accueillit des migrants venus d’Austronésie il y a près de 12 000 ans. Les descendants de ces autochtones sont divisés jusqu’à aujourd’hui en seize peuples différents. Puis de nouvelles populations, souvent issues des côtes chinoises, s’y installèrent et développèrent une langue – le Hokkien – et des formes religieuses dites taoïstes proches de celles de la province du Fujian. Tout un cinéma anthropologique l’a documenté. Puis l’île fut colonisée par les Chinois au XIIe siècle qui voulaient protéger l’immense commerce et les activités de pêche qui sillonnent la « Méditerranée asiatique » (voir François Gipouloux).
Les Portugais, qui la découvrent en 1590, lui donnent le nom d’Ilha Formosa (Formose, L’île de Beauté), mais ne peuvent s’y implanter. Plus heureux, les Hollandais fondent Anping sur la côte ouest (1624) au profit de la Compagnie des Indes Néerlandaises et repoussent une tentative espagnole sur Keelung (1642). Finalement le Général chinois Zheng Chengong (1624-1662) dit Koxinga, fidèle à la dynastie Ming renversée, est battu par la dynastie Qing. Il se réfugie à Taïwan et en chasse les Hollandais en 1661/62, avec le soutien des Aborigènes qui généralement s’opposaient aux Chinois. Il établit l’éphémère Royaume de Tungning et fait de Tainan (Taipei) sa première capitale. Koxinga est considéré à Taïwan comme un héros national et le père de la nation taïwanaise.
Les Qing reprennent l’île à partir de 1683. Taïwan connaît alors un essor important comme étape commerciale et près d’un million de Chinois s’y installent au cours du siècle suivant malgré l’interdiction de sortie du territoire décrétée par l’Empereur qui veut ruiner les « pirates de l’Ouest ». Cette reconquête suscita plusieurs guerres de résistance, comme celle de la Société du Lotus Blanc qui prépara, sous la direction de Zhi Yigui, un soulèvement armé de plus de 300 000 hommes en 1721. En 1786, c’est Lin Shuangwen qui, pour « gagner le cœur du peuple » et « soutenir l’agriculture », organise une insurrection armée sur l’île où il avait antérieurement dirigé la Société du Ciel et de la Terre, plus connue sous le nom de Société de la Triade. Ce passé de rebelle qui se réfugie dans la Montagne inspirera des films pseudo-historiques avec des héros généreux ou des gangsters justiciers dans Typhoon de Pan Lei (1962) dans la tradition du roman Au bord de l’eau.


Alors que la Chine subissait les Guerres de l’Opium (1848-1875) et l’insurrection des Taiping, le Japon engageait la Réforme de Meiji (1868) et devenait la puissance militaire et industrielle de l’Asie. Battu lors de la Guerre sino-japonaise en Corée et sur mer (1894-1895), l’Empire mandchou signe le Traité de Shimonoseki par lequel il doit céder Taïwan à au Japon (1895-1945). Après une résistance et l’instauration d’une courte République de Taïwan, les troupes nippones occupent le territoire. Cette colonisation s’accompagne d’une certaine ségrégation, mais également d’une japonisation linguistique de la population et de sa culture, le cinéma compris. Pas de studio taïwanais, seuls des japonais au service de l’impérialisme de Tokyo.
Lors de la défaite de 1945, le Japon remet Taïwan à l’ONU, qui le confie à la République de Chine. Des troupes chinoises du Kouo-Min-Tang viennent donc reprendre rapidement le contrôle de l’île, avec le soutien des États-Unis. Mais ils apportent avec eux les malheurs du régime de Tchang Kaï-chek : inflation galopante, chômage massif, corruption généralisée. En février 1947, une émeute, à Taipei, aboutit à une insurrection générale de l’île.
En 1949-1950, les Nationalistes du Kouo-Min-Tang, à la suite de leur défaite dans la guerre civile chinoise (1927-1950), fuient l’Armée Populaire de libération et la création de la République populaire de Chine par le Parti Communiste chinois. S’y établissent alors deux millions de Chinois du continent, en majorité militaires, avec l’ambition de reprendre le continent au Parti Communiste. Sous l’impulsion de Tchang Kaï-chek, ils imposent l’état d’urgence et un régime de parti unique où le Kouo-Min-Tang domine, et poursuivent l’industrialisation militarisée de l’île. L’assimilation des continentaux est délicate comme le montre le film A Brighter Summer Day d’Edward Yang mais aussi La Cité des douleurs, Les garçons de Fenkuei, Un Eté chez grand-père de Hou Hsiao-hsien.


Malgré une guerre de basse intensité (1949-1994) entre les deux régimes (pendant les guerres de Corée et de Vietnam qui connaissent aussi la partition) le cinéma renaît et sort de l’académisme. Même si le pouvoir dictatorial impose le seul mandarin pour siniser l’île. En 1963, il crée la Central Motion Picture Corporation (CMPC) qui introduit le mélodrame dit du « réalisme sain ». Puis dans les années 60, un genre populaire, le film sentimental « de Chiung Yao ». Voir Luo Hui-shao comme l’illustre Un amour ancien qui perdure (1962).
La démocratisation s’implante dans les années 1970 avec la fin de la loi martiale et progresse tandis que Taiwan rejoint bientôt le groupe prospère, des « petits dragons ». Son cinéma, ainsi que celui de la Corée ou de la Chine, se renouvelle et accède aux festivals internationaux avec des thèmes identitaires. Ex : Hou Hsiao-hsien avec Les Fleurs de Shanghai ou Le Maître de marionnettes, et Hsu Hsiao-ming avec L’île du chagrin, etc.
Une situation pacifiée s’établit néanmoins en 1994 qui permet l’ouverture de négociations qui semblent promettre une réunification (politique de Deng Xiaoping). Dans ces années 1990, différents partis sont autorisés et des élections démocratiques sont mises en place. Cet esprit de liberté suscite la créativité de la Nouvelle Vague en concurrence avec celle de Hong Kong). Des réalisateurs comme Edward Yang avec A Brighter Summer Day (1991) ou Histoire de Taipei, Ang Lee avec Garçon d’honneur, ou Yeh Hung-Wei avec Cinq filles et une corde, osent aborder l’histoire mouvementée du pays avec un regard critique et évoquer les problèmes sociaux (Yi Yi, 2000). Ces réalisateurs renouvellent aussi les films d’arts martiaux (wuxia pian) comme Hou Hsiao-hsien dans The Assassin (2015), ou les polars réalistes.


Le débat politique se polarise autour de la question de l’indépendance avec une tendance réunificatrice issue du Kouo-Min-Tang, et une tendance autonomiste qui occupe le pouvoir depuis 2016. C’est une situation presque unique au monde : Taïwan n’est pas un État indépendant, mais il se déclare souverain, il entretient la fiction d’une République de Chine dont les frontières légales ne correspondent pas aux frontières réelles. Seuls seize États reconnaissent cette république comme un pays souverain. Mais plusieurs continuent de « protéger » l’île militairement (Etats-Unis, Japon, Corée) et la soutiennent diplomatiquement. On voit apparaître une nouvelle Nouvelle Vague qui cependant met moins l’accent sur les questions identitaires que sur les formes oniriques et décalées du nouveau cinéma mondial : Tsai Ming-liang avec Et là-bas, là-bas quelle heure est-il ?, La saveur de la pastèque, Les Rebelles du dieu Néon, ou Lin Cheng-sheng avec Betelnut Beauty et Sweet Degeneration, ou encore Hou Hsiao-hsien avec Millenium Mambo.


Les relations entre les deux rives du détroit de Formose se sont envenimées surtout depuis l’élection en 2016 de la présidente Mme Tsai Ing-wen qui obtient un second mandat en 2020 et dont le Parti démocratique progressiste (PDP) rejette le principe d’« une Chine unique ». Ce parti a souvent plaidé pour une déclaration d’indépendance, mais n’ose franchir le pas. Lorsque le gouvernement de la République Populaire menace ces démocrates d’une invasion armée, se développent des manifestations clairement indépendantistes comme le Mouvement des Tournesols 陽花學運) ou Mouvement 318. Cependant rares sont les films de fiction qui abordent de front l’acuité de « la question de Taïwan ». Ce sont plutôt des drames à caractère universel en rapport avec la société taïwanaise comme The Bolt, the Corrupt and the Beautiful de Yang Ya-che (2017) ou When A Wolf Falls in Love with a Sheep de Hou Chi-jan ou encore Exit de Chienn Hsiang (2014) ainsi que Parking (2008) ou The Falls (2021) de Chung Mong-hong, et de nombreux autres, car désormais la filmographie de Taïwan s’est insérée dans le cinéma mondial.
Bibliographie
Jean-Pierre Cabestan, Benoît Vermander, La Chine en quête de ses frontières : La confrontation Chine-Taïwan, Presses de Sciences Po, 2005
Christine Chaigne, Catherine Paix, Chantal Zheng, Taïwan, Enquête sur une identité, Karthala, 2000.
François Gipouloux, La méditerranée asiatique et le retour la Chine au centre, Herman, 2014 ;
Françoise Mengin, Trajectoires chinoises : Taiwan, Hong Kong et Pékin, Karthala, 1998.
Françoise Mengin, Fragments d’une guerre inachevée : les entrepreneurs taiwanais et la partition de la Chine, Karthala, 2013.
Luisa Prudentino, Le regard des ombres, Bleu de Chine, 2003.
R.D
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