REFLETS DU CINÉMA CHINOIS – 9e Édition
du 15 au 19 mars 2017
(programme détaillé en bas de page)
(NB: séance de dimanche 20 h 30 : film « Cité des douleurs » initialement programmé, remplacé par « Un temps pour vivre, un temps pour mourir » de Hou Hsiao-hsien)
Présentation
L’Occident a longtemps craint le « péril jaune », alors que la tradition chinoise, qui s’enracinait dans la religion confucéenne du culte des ancêtres, imposait aux nouvelles générations de rester au pays pour y prendre soin de leurs parents dans la maison familiale, pour pratiquer les rituels au temple du village natal, et pour remplir leurs obligations multiples envers leurs relations au sein du réseau local. Si une femme quittait les siens, ce ne pouvait être que pour rejoindre le foyer de son mari auquel elle devait un respect équivalent à celui de ses parents nourriciers. Si un homme devait partir, même pour le service de l’empereur, son retour au pays constituait une obligation, au même titre que l’amour maternel et l’obéissance paternelle. Mais quand l’âge le lui permettait, c’était une expérience parfois douloureuse.
Je rentre au pays natal après de longues années, J’ai des cheveux blancs mais je retrouve l’accent du cru. Mes enfants me regardent sans me reconnaître ; Ils demandent en s’esclaffant : « D’où venez-vous, Vieil homme? » J’ai quitté mon pays depuis de longues années ; A mon retour, je trouve les choses changées. Seule l’eau du lac du Miroir devant chez moi A conservé les vaguelettes de jadis sous le vent printanier.
He Zhizhang (659-744), dynastie des Tang
PROSCRITS
La littérature chinoise la plus ancienne nous invite donc à éprouver la nostalgie de l’éloignement du pays natal, à partager le déchirement du départ ou à exhaler les soupirs de l’exil. Mais ces événements concernaient généralement les mandarins qui devaient rejoindre un poste éloigné de leur district natal, les militaires qui campaient aux frontières glacées dans l’attente des Barbares », ou certains lettrés artistes qu’une déportation ou un exil contraignaient à s’éloigner de leurs amis et à quitter leur famille en punition de leur témérité pour avoir dénoncé les turpitudes de la Cour.
Le matin, je présente une requête à l’empereur Le soir, je suis exilé à Chaoyang à huit mille lis Je voulais épargner à l’empereur une catastrophe Prêt à donner mes os sans penser à mon âge avancé.
Han Yu (768-824), dynastie des Tang
La Chine contemporaine ne connaît plus de telles situations, encore que les intellectuels victime de la répression anti-droitistes de l’année 1958, ou les citoyens destitués par les foudres sectaires des gardes rouges pendant la Révolution Culturelle (1966-1976), aient vécu, eux aussi, les déchirements de la déportation et les affres de l’exil. Les milliers de lycéens, « jeunes instruits » urbains, qui furent envoyés à la campagne par Mao se faire rééduquer par les paysans, se souviennent des moments difficiles où ils durent s’arracher aux bras familiaux pour monter dans les camions qui les emmenaient« grimper la montagne et descendre dans les campagnes » (shangshan xiaxiang上山下乡) : les larmes noyaient alors les meilleures résolutions révolutionnaires. Certains d’entre eux parvinrent à rejoindre, au péril de leur vie, les communautés extérieures de Hong Kong, Taiwan ou New York. La littérature et le cinéma « des cicatrices » (shanghen傷痕) vont redonner leur dignité à ces « sans voix »et à ces « sans lieux »à partir des années 1980, comme dans Gardien de chevaux de Xie Jin (1982) ou Le Fossé de Wang Bing (2010). Aujourd’hui, les séries TV reprennent quotidiennement le scénario des jeunes instruits à la campagne, comme elles théâtralisent aussi, pour les années trente, les départs des patriotes volontaires vers les zones révolutionnaires ou la terrible migration intérieure que fut la geste de La Longue Marche.
MIGRANTS
Notre sélection cinématographique s’est toutefois concentrée sur les phénomènes migratoires contemporains. On connaît les transferts actuels de peuplements de fonctionnaires Han (appartenant à l’ethnie chinoise), de militaires et aussi de « constructeurs » vers les régions périphériques des minorités nationales comme le Tibet, la Mongolie et le Xinjiang, ce qui crée souvent de vives tensions avec les populations locales. Comme ce fut le cas à Taïwan lors de sa reprise par la Chine en 1947. Pourtant ces déplacements ne sont pas spécifiques à notre époque. Que l’on songe aux mouvements de population qui ont accompagné la grande expansion territoriale sous l’Empereur Han Wudi (-156/-87 av. J-C.), quand ce guerrier génial étendit l’Empire des Han jusqu’à l’Ouzbékistan, la Mongolie et la Corée, avant de conquérir les royaumes du Fujian, du Guangdong et du Vietnam…, déplaçant des armées de centaines de milliers de soldats, puis installant des milliers d’administrateurs. C’est là l’origine de la fameuse Route de la soie.
Ces mouvements vont prendre une extension dramatique au XIXe siècle, lors du déclin de l’empire mandchou, déchiré par de terribles révoltes rurales d’un côté et agressé par les puissances impérialistes de l’autre. Ce sera par dizaines de milliers que les habitants des régions côtières du Sud (Fujian, Guangdong) vont s’embarquer en quête des trésors des mines d’or de Californie, tandis que d’autres partiront louer leurs bras sur les ports d’Asie du Sud-est, ou que des familles s’installeront sur les îles malgaches et tahitiennes. Les uns et les autres y formeront des communautés qui chercheront à préserver leurs mœurs et à maintenir les rites religieux de leurs ancêtres. Ils feront souvent l’objet de discriminations racistes comme par le Chinese Exclusion Act de 1882 qui leur ferme l’entrée des États-Unis ou la Loi sur l’immigration de 1923 qui leur interdit l’accès du Canada. Leur destin (leurs malheurs et leurs succès, réels ou imaginaires) va jouer un rôle important dans la représentation que les Chinois du continent vont se faire du monde extérieur, et, par retour, dans l’image qu’ils se font d’eux-mêmes. Les Chinois n’auraient-ils été affaiblis, dans la lutte des nations pour leur existence, par une culture retardataire ? Malgré l’adaptation de ces migrants dans leur Chinatown, les productions américaines représentent en effet rarement les Asiatiques, et les Chinois en particulier. Quand ils le font ce sont comme des représentants d’un peuple inapte à la modernité. Le cinéma shanghaien des années 30, ignore, lui aussi, les heurs et malheurs de ces migrants de la première heure, alors qu’il fait beaucoup de cas des étudiants qui, au tournant du XXe siècle, sont partis étudier au Japon, comme, plus tard, il va honorer les modernistes qui s’y réfugient pour échapper aux persécutions de la fin de l’Empire mandchou. Bâtisseurs de la Chine Nouvelle et les messagers de la Nouvelle Culture, il est normal qu’ils nourrissent un roman national.
La première moitié du XXe siècle va plonger la Chine dans des guerres civiles et des conflits internationaux ininterrompus, catastrophes qui vont déclencher des exodes internes à la Chine et des expatriations vers des terres lointaines. Si certains Chinois en furent bénéficiaires, comme certains futurs dirigeants — Zhou Enlai, Chen Yi, Zhu De — qui passèrent quelques années instructives en France, dans la plupart des cas, ces éloignements déchirèrent les familles, les villages et les villes comme par exemple après le bombardement japonais de Shanghai et le massacre de Nankin (1937). L’errance de ces Chinois déplacés va devenir un poncif des séries T.V historiques tout comme les retrouvailles, souvent fortuites, des membres séparés d’une même famille ou d’une même communauté, par les guerres civiles ou patriotiques. Au milieu du siècle, c’est le repli des Nationalistes du Kuo-min-tang vers Taiwan, en 1949, qui représente le départ de population le plus significatif de la Chine moderne (Cité des douleurs de Hou Hsiao-hsien). Cet exode est très présent dans le cinéma des deux rives du Détroit de Taiwan, même si c’est selon des schèmes narratifs divergents.
MINGONG
Durant la période dite de Réforme et d’Ouverture (1992-2015), à la faveur du développement rapide de l’économie chinoise, qui atteint un taux de croissance industrielle moyen de 15% et un taux de croissance du PIB supérieur à 10%, la Chine continentale a connu une urbanisation fulgurante et déséquilibrée (The World de Jia Zhangke). Représentant moins de 20% de la population totale à la fin du maoïsme, la population urbaine atteint désormais 52%. Mettant fin à la politique de l’« homme nouveau » prônée par Mao, qui voulait effacer les écarts entre les villes et les campagnes, ainsi qu’entre les ouvriers et les paysans, la nomenklatura chinoise a accepté les risques d’une industrialisation rapide et coûteuse en matière d’environnement et d’énergie, et à l’origine d’une déstabilisation profonde de l’institution familiale, à travers le planning autoritaire et brusque, la séparation des familles, l’exode rural, la concentration urbaine dans les régions côtières déjà surpeuplées. Cette urbanisation « a été strictement réglementée à travers le système du hukou戶口 (passeport intérieur d’assignation à un lieu déterminé), qui établit une distinction entre résidents urbains et ruraux, une caractéristique propre à la Chine, qui dresse de solides barrières institutionnelles à la migration[interne]. Contrairement à beaucoup de pays en développement qui ont connu une urbanisation rapide, la Chine a su éviter de nombreux problèmes liés au développement des mégapoles, tels que les bidonvilles, la pauvreté urbaine, la criminalité et les troubles sociaux. Le revers de la médaille est que les migrants ruraux [appelés mingong 民工, littéralement “travailleur [urbain] issu du peuple [des campagnes]”], qui ont contribué à l’urbanisation mais restent marginalisés dans les villes, payent le prix fort de cette réglementation. » (Sylvie Démurger, CNRS). En effet, la scolarisation des enfants, la protection sociale, le respect de leurs droits sociaux furent souvent foulés aux pieds.
Si l’urbanisation garde son rythme et son ampleur, c’est 350 millions de ruraux supplémentaires qui devraient rejoindre les 200 millions actuels (près d’un Chinois sur cinq) dans les décennies à venir. Les autorités chinoises comprennent les enjeux de cette gigantesque mutation géographique et sociale, professionnelle et sociétale, et décident prudemment de modifier certaines politiques antérieures (démographiques, juridiques ou scolaires), non seulement « pour encourager la migration interne entre les régions, mais aussi à améliorer les conditions dans lesquelles la population rurale se déplace et s’installe dans les villes » (extrait du Plan quinquennal 2010-2015). En effet, l’installation des mingong dans les villes rencontre de fortes résistances de la part de la population d’accueil, qui voit d’un mauvais œil ces « étrangers de l’intérieur » d’origine rurale, peu éduqués, acceptant des conditions de vie et de travail qui portent atteinte à leur dignité (La Promesse de Shanghai de Stéphane Fière).
Pourtant n’ont-ils pas droit à une vie conjugale normale, une scolarisation régulière et à des logements décents (voir le documentaire programme En quête d’amour de Ye Yun). En effet, les jeunes migrants actuels n’ont plus les mêmes besoins ni les mêmes exigences que leurs aînés des années 80, ainsi que les enfants de ces derniers, nouveaux urbains discriminés : ils sont moins dociles que leurs parents, plus conscients de leurs droits et davantage soucieux de leurs devoirs. Ils ne forment plus le projet de « retourner au village natal » (huilaojia 回老家), comme l’avaient espéré leurs parents, mais exigent de pouvoir accéder aux bénéfices et aux facilités de l’urbanisation moderne qu’ils bâtissent de leurs mains (écoles supérieures, transports, logements, etc.).
Même si leur rapport a changé avec « le pays », où ils ne retournent guère que pour le Nouvel An et les sépultures, leurs envois financiers contribuent au mieux-être des campagnes évidées (Last Train Home de Fan Lixin). On voit même naître des formes de soutien pour valoriser le patrimoine rural qu’on méprisait au siècle dernier, ou pour financer des projets de développement. Ces tendances sont encore plus fortes au sein des communautés ethniques minoritaires, qui subissent le regard distants de leurs compatriotes Han, et qui s’inquiètent de ne plus retrouver leur « chez nous » dans ces lieux folklorisés.
Ces combats et ces initiatives accélèrent les avancées vers une « nouvelle citoyenneté » qui se tisse subrepticement à travers malentendus, compétition et revendications multiples au sein de la société civile. Selon certains observateurs, c’est même un nouveau régime qui émerge avec les décisions administratives et les positionnements politiques que prennent les autorités pour favoriser l’intégration des migrants, quand elles se voient obligées de s’adapter à l’économie de marché mondialisée et de « promouvoir une société de bien-être général et d’harmonie », comme leur propagande continue de les promouvoir. (Chloé Froissart, Centre franco-chinois, Université Qinghua, Pékin).
SANS RETOUR ?
Pendant cette période, de nombreux Chinois parviennent à quitter la Chine pour étudier ou se réfugier en Occident (Shanghai Belleville de Lee Show-chun). Après quelques années de réserve, la plupart apportera son concours politique et financier à la politique d’ouverture de la Mère Patrie. Tandis qu’en Asie, les communautés chinoises subissent parfois de graves violences raciales, comme en Indonésie en 1965 (500 000 morts) et en Indochine (expulsions de Sino-vietnamiens et départ de boat-people cambodgiens en 1977-1985) (Adieu Mandalay). Mais l’essentiel désormais tient aux relations de plus en plus étroites entre les communautés de huaqiao 华侨 (les Chinois d’Outre-mer) et le pays de leurs lointains ancêtres (Dim Sun de Wayne Wang). Beaucoup apportent leur concours financier ou culturel à l’affirmation internationale de l’ex-empire du Milieu qui, lui, n’hésite plus à favoriser le départ de ses citoyens, en vue de favoriser ses exportations et de garantir ses ressources énergétiques (Moyen-Orient, Afrique, Amérique du Sud).Un départ sans retour ?
Cinéma au Cinématographe (Nantes)
Date | Heure | Film | Lieu |
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Vendredi 17 mars | 18 h | The World, 世界 (Jia Zhangke, 2004, 143 mn). La mondialisation mise en scène dans un parc de loisirs à Pékin. | Le Cinématographe |
Vendredi 17 mars | 20 h 45 | En quête d’amour, 对看 (Yun Ye, 2016, 145 mn). Les parents sont partis travailler au loin, comment le vivent leurs enfants ? | Le Cinématographe |
Samedi 18 mars | 17 h | Last train home, 归途列车 (Fan Lixin, 2009, 85 mn). Les ruraux exilés dans les régions industrielles, et voilà la fête du printemps. | Le Cinématographe |
Samedi 18 mars | 21 h | En avant-première, Adieu Mandalay, 再见瓦城 (Midi Z, 2016, 108 mn). De jeunes Sino-birmans clandestins dans les usines textiles de Thaïlande. | Le Cinématographe |
Dimanche 19 mars | 16 h 30 | Shanghai Belleville, 上海美麗城 (Show-chun Lee, 2015, 87 mn). Au cœur de la communauté chinoise de Paris et dans les cœurs parisiens. | Le Cinématographe |
Dimanche 19 mars | 20 h 30 | Un temps pour vivre, un temps pour mourir, 童年往事 (Hou Hsiao-hsien, 1985, 137 mn). Venue du continent dans les années 50, une famille tente de s’acclimater sur l’île de Taiwan. | Le Cinématographe |
Cinéma au Concorde (La Roche-sur-Yon)
Date | Heure | Film | Lieu |
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Lundi 20 mars | 14 h | Sparrow, 文雀 (Johnnie To, 2008, 87 mn), Les quatre membres d'un gang de pickpockets (sparrow, en argot de Hong Kong) rencontrent tour à tour une mystérieuse inconnue (Kelly Lin)... ce qui leur occasionne de sérieux ennuis, car le « moineau » (traduction littérale de Sparrow) veut sortir de sa cage... Réussiront-ils à la libérer ? | Le Concorde |
Jeudi 30 mars | 20 h 30 | The World, 世界 (Jia Zhangke, 2004, 143 mn). La mondialisation mise en scène dans un parc de loisirs à Pékin. | Le Concorde |
Exposition et conversation au CID (Nantes)
Date | Heure | Événement | Lieu |
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mercredi 15 mars | 16 h | Le Club de lecture Feuille d’Orient engage une conversation autour du dernier livre de Stéphane Fière, Camarade Wang achète la France, (Phébus, 2016), ouverte à tous. | Université Permanente |
mercredi 15 mars | 18 h | Ouverture de la 9e session du festival Reflets du cinéma chinois. | Université Permanente |
mercredi 15 mars | 18 h 15 | Inauguration de l’exposition de photographies Migrants de Dominique Read. | Université Permanente |