EXPO – Rencontrer Shanghai, Embrasser le monde

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Exposition universelle (2010)

Enfin ! La Chine qui avait participé à de très nombreuses expositions universelle (dès 1871 à Paris), se voit reconnue comme nation organisatrice. La décision fut saluée par le pays tout entier comme le sont désormais tous les « événements » du show-biz où coulent les flux indécents de l’émotion télévisuelle : dans une excitation surjouée et une gestuelle théâtrale qui évoquent la grandiloquence  de la propagande du régime.

Fierté retrouvée après un siècle d’humiliation (1849-1949), souveraineté recouvrée après un cinquantenaire de sous-développement maoïste (1949-1979), dignité reconquise après des décennies  d’émergence (1939-2009),  la manifestation internationale se voit attribuer, par le régime puis par le pays, une dimension « historique » sans commune mesure avec l’importance concrète de l’événement. Le magnifique style antique du pavillon chinois lui conféra une dimension identitaire et culturelle. On comprend que toute posture critique, comme celle du président français conditionnant sa participation à un changement de politique intérieure, fut non seulement contre-productive, mais fut reçue comme la preuve d’un « mépris envers les sentiments profonds du peuple chinois ».

Cette hyper-valorisation symbolique et cette inflation médiatique (qui font suite à d’autres « événements mondiaux »en Chine comme les J.O.de Pékin de 2008 ou l’élection de Miss Monde), guident la sélection des clichés de l’exposition.  Couleurs criardes, gros plans, zooms, redondances, tous les  moyens styliques de la grammaire de l’image publicitaire sont mobilisés, en contraste avec  la sobriété de l’écriture cinématographique de Zhang Hongfeng, dans « Retour à Shanghai ». N’oublions pas le contexte euphorique de 2010 : la Chine après avoir supporté les violents contrecoups de la crise financière américaine, apparaît comme un nouveau rempart car elle tire la croissance mondiale et anime le groupe BRIC (des émergents)  alors que s’effrite le système bancaire mondial. L’Exposition célèbre donc,  après les festivités du  60e anniversaire du régime (2009), son élévation au statut de 2e puissance mondiale.

Comme l’indique son titre, cette exposition se voulait une ode à la Perle de l’Orient, dans sa dimension cosmopolite : Shanghai Ville-monde. Or, pendant cinquante ans, cette « ouverture » des grandes familles shanghaiennes vers la mode et les pratiques occidentales, fut considérée comme une tare historique, la preuve d’un lien incestueux avec l’Occident impérialiste. Désormais, la mondialisation de Shanghai se met en scène comme un modèle universel que la Chine joyeuse et fière doit emprunter avec entrain et confiance. L’exposition de Shanghai a dépassé tous les standards : 73 millions de visiteurs, principalement des Chinois, admirèrent un projet qui coûta  43,5 milliards d’euros. Le cosmopolitisme shanghaien fait tache d’huile. Le goût pour l’ailleurs ne s’est pas démenti : plus de 100 millions de Chinois ont visité un pays étranger en 2014.

La Chine réelle, dans sa diversité, n’en oublie pas si vite l’arrogance séculaire des bobos shanghaiens qui, là encore, voulurent donner des leçons de bonnes manières aux provinciaux (ne pas cracher, ne pas retrousser son pantalon, etc.) L’excentricité de ses punks, les caprices des fiancées ou l’exhibition de ses starlettes sont-ils si « modernes » ? Une modernité qui ressemble parfois à « la décadence occidentale », ce que ne manque pas de rappeler le Centre.

Cinq années après,  la conversion de cet immense espace est loin d’être accomplie ou réussie. Omniprésence des galeries de luxe européen, pavillon français transformé en musée d’art contemporain que nul ne visite, immenses terrasses vides, escalators orphelins. Le bilan est moins festif que ne furent les cérémonies qui annoncèrent le projet « meilleure ville, meilleure vie ».

R.D.