Ces placards ont été achetés dans des librairies de la Rue Fuzhou à Shanghai à la fin des années 70. Ce ne sont pas à proprement parler des affiches, exposées dans les rues pour informer ou mobiliser les passants, mais plutôt des éléments décoratifs achetés par des particuliers — comme le portrait des dirigeants historiques (Marx, Lénine, Mao) pour colorer les intérieurs grisâtres ou égayer les mornes salles de réunion. Ils marquent aussi l’allégeance — réelle ou simulée — des acheteurs au pouvoir. Ils occupent un statut mixte entre les « estampes du Nouvel An » (enfants joufflus et rubiconds porte-bonheur) et les images pieuses protectrices, comme le chasseur de démons Zhong Kui, le bodhisattva sinisé Guan Yin ou le bouddha Sâkyamuni. Ils appartiennent surtout au système de propagande d’un régime totalitaire, diffusant des affiches mobilisatrices, destinées à saturer l’espace collectif et personnel de symboles exclusifs, rayonnants et optimistes.
L’iconographie populaire chinoise ayant toujours propagé l’image de l’enfant joyeux comme promesse de bonheur, de réussite, de longévité (san xing 三星), les affiches s’inscrivent donc dans une longue tradition, qui rejoint la prescription confucéenne de « former des successeurs » compétents et intègres. La modernité chinoise reprit cette figure en mettant la question éducative au cœur du débat politique depuis la Réforme des Cent Jours de 1898. Anarchistes, libéraux, populistes et bientôt communistes s’opposèrent, mais ce fut certainement Mao Zedong, ancien instituteur, lecteur de Dewey et disciple de Liang Qichao (1873-1929), qui lui attribua la plus extrême importance et la plaça au cœur du processus révolutionnaire, total et permanent, radical et cyclique, qu’il appelait de ses vœux.
Élevant l’imaginaire soldat Lei Feng en figure de proue, engagé jusqu’au sacrifice, obéissant jusqu’à la docilité, voué sans restriction à la juste cause, Mao bâtit un dispositif éducatif qui dépassa le modèle des komsomols soviétiques. La jeunesse ne devait pas seulement bénéficier des bienfaits de la révolution, ni même en être le continuateur plein de gratitude et de fidélité, elle en était le ferment, le levier subversif. Car pour produire « l’homme nouveau », il faut de nouvelles semences !
« Oser se révolter ! » Nous connaissons les désastres qu’engendrèrent les mobilisations de masse des lycéens gardes-rouges des années 66-70, tant dans la destruction du patrimoine que dans la disqualification des « intellectuels pourris » ou la dévalorisation de la culture savante — et les violences qu’elles déchaînèrent.
Les affiches présentées proviennent d’une « étape d’approfondissement » postérieure (1969-1978) : désormais les petits gardes rouges doivent apprendre auprès des paysans et des soldats du peuple, prêts à défendre la fiction d’un monde d’harmonie et de bien-être. Mobilisation permanente, militarisation des conduites et subordination des esprits devraient permettre la victoire finale !
R.D.