EXPO – Album d’un Nantais à Shanghai (1976-1980)

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Quelques clichés volés ou maraudés par un Nantais qui ne disposait que d’un méchant appareil et devait le charger avec des pellicules couleur, rares et médiocres. Les laboratoires renvoyaient des images qui semblaient provenir de séries d’un autre âge. Mais elles n’en avaient pas moins quelque valeur de témoignage, car  Shanghai n’accueillait alors qu’une vingtaine de résidents étrangers, tous logés au même étage du même hôtel de la Métropole de huit millions d’habitants. Ni journaliste, ni consulat, ni bureau commercial. On se sent vraiment à l’intérieur de la Grande Muraille. L’immensité de l’espace urbain ou rural était fermée aux circuits touristiques étrangers. Un résident ne pouvait sortir de la ville, même pour une ballade dans la campagne, sans un visa des Bureaux Municipaux. Les passants n’accueillaient pas facilement la présence d’une caméra, alors que la ville était couverte d’affiches, de caricatures qui montraient publiquement l’intensité des débats et des querelles, car ils la ressentaient comme « une ingérence étrangère », voire un acte d’espionnage.

L’Orient était rouge. La Révolution Culturelle chinoise faisait la une de la presse internationale, même si ses objectifs restaient obscurs. La « Voie chinoise » se posait en utopie concrète pour le développement des pays d’Asie ou d’Afrique qui venaient de conquérir leur indépendance. Le portrait de Mao disputait, à l’affiche du « Che », l’espace des murs des chambres des étudiants du Tiers-Monde. Les vaillants peuples de l’Indochine venaient de réussir le mot d’ordre : « US go home »  sous le regard de Zhou Enlai ! Les Black Panthers, comme les rebelles de l’Afrique portugaise ou ceux d’Amérique Latine voyaient en Pékin un soutien fraternel.

Mais en interne, la Chine ne supportait pas la présence des étrangers qui s’étaient imposés depuis les Guerres de l’Opium (1842). Ils avaient dû partir massivement à partir de 1949. Les « camarades soviétiques » avaient quitté eux aussi l’empire du Milieu en 1960. La Chine vivait alors en autarcie, prétendait à l’autosuffisance alimentaire ainsi qu’à l’indépendance économique. L’isolement était encore plus profond sur le plan diplomatique et politique, malgré les gesticulations révolutionnaires. Les luttes internes, dont la Révolution Culturelle était le dernier épisode, faisaient régner une atmosphère de soupçon général, de terreur de masse, tandis que le régime organisait un culte de la personnalité délirant et une mobilisation perpétuelle au nom de la grande démocratie.

Les rares étrangers invités sont relativement intégrés : ils participent non seulement aux activités professionnelles, mais aussi à la vie politique et culturelle de leur établissement : travail manuel, études politiques, gymnastique et partagent les joies et les peines (rationnement, festivités familiales) de leurs collègues. Dans ce cadre protégé, les photos sont appréciées comme preuve de la confiance dans « les vieux amis ».

R.D.

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