Ces caricatures ont été prises à Shanghai, dans des conditions délicates, pendant l’automne 1976, quelques semaines après l’arrestation de ce quarteron de hauts dirigeants qui, à la mort de Mao Zedong (9 septembre 1976) se proclamaient les successeurs du Grand Timonier décédé, et voulaient continuer « la révolution dans la révolution », purger le Parti de ses éléments « capitalistes », dont Deng Xiaoping qui venait d’être limogé (7 avril 1976).
On connaît les Quatre sous le nom de Groupe de Shanghai. Mme Mao, Jiang Qing, fut dans cette ville-cinéma, une actrice de second rôle qui revint y persécuter de célèbres artistes et intellectuels. Wang Hongwen, vice-président du Parti (1971-76), ouvrier garde rouge de l’agglomération, connut une promotion fulgurante (l’hélicoptère) grâce à Mao. Zhang Chunqiao y fut cadre politique chargé de la propagande avant la Révolution Culturelle, tandis que Yao Wenyuan était un journaliste local qui en novembre 1965 lança une critique littéraire qui devait servir d’amorce à cette même Révolution Culturelle.
Les caricaturistes attaquent donc les perdants, désormais emprisonnés, qui ne seront jugés que quatre ans plus tard (octobre 1980). Leurs dessins ne portent pas les stigmates d’inachèvement des caricatures improvisées ou sauvages qu’on trouve sur tous les murs de la ville, car elles ont été redessinées, placées sous verre, afin de servir de modèles.
Shanghai était considérée comme la base d’appui des Quatre. Aussi la Ville, gérée par Trois de leurs affidés, se devait, après leur arrestation, de prouver sa fidélité au pouvoir (Hua Guofeng, 1976-80). Elle devait aussi faire amende honorable pour avoir soutenu une clique qui manifestait une ambition sans frein, une politique gauchiste clivante, et qui s’appuyait sur des « voyous » qui fument, boivent, jouent aux cartes au lieu de « Servir le Peuple », de travailler la réalisation des Quatre Modernisations.
Paradoxalement les Quatre ne sont pas ici dénoncés comme gauchistes, ouvriéristes ou ultras, mais comme extrême-droite fascisante. Comparés à Chiang Kaï-chek (Jiang Jieshi), Hitler, Mussolini, Goebbels, ils sont taxés, contre toute vraisemblance, de contre-révolutionnaires, d’ambitieux, d’esprits féodalistes, qui voudraient restaurer un pouvoir impérial honni. Jiang Qing en particulier, l’épouse radicale de Mao, est portraiturée comme une des impératrices ambitieuses de la longue histoire chinoise — ou comme la traîtresse, qui a osé donner des interviews à des journalistes étrangères !
En théorie, la caricature murale publique est libre et protégée car elle est un des piliers de la Grande Démocratie (Da minzhu大民主) avec le Grand Journal Mural (Da zibao大字报), le Grand Meeting (Da hui 大会), le Grand Débat (Da bianlun大辩论) et la Libre expression d’opinions (Da ming da fang大鸣大放). Ces libertés publiques, formellement démocratiques, prônées par Mao, censées être des instruments privilégiés de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, se transformeront en moyens de discrédit des adversaires, en tortures de l’aveu, en manipulation de masse (Da pipan 大批判) au service du clan vainqueur, ou aboutiront en tempête politique (Da feng da lang大风大浪), conduisant à des violences et à la guerre civile.
R.D.